Giuseppe Ungaretti
Les écoles littéraires en Italie
(«Don Quichotte», 7 mars 1920)

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Le moment est sans doute mal choisi pour parler d'œuvres d'art récentes. Nous nous trouvons dans un état de trouble. S'agit-il d'un effort reconstructeur; est-ce la décomposition finale des résidus de l'ancien monde, ou la crise de croissance d'une esthétique nouvelle?
En France, d'aucuns nous parlent de classiques de l'esprit nouveau, de Mallarmé et d'Apollinaire; d'autres, jeunes gens auxquels d'ailleurs une culture, et des plus raffinées, ne fait pas défaut, manifestant un esprit de doute, d'irrévérence et même de négation absolue; enfin, des groupes soutiennent la nécessitè d'une révolution «réactionnaire» nous permettant de retrouver la science de l'analyse des passions humaines qui a fait la puissance de vie du style d'un Racine.
En Italie, ce qui nous frappera tout d'abord, c'est l'absence, du moins apparente, d'idées de continuité et de développement dans la succession des écoles littéraires, et nous n'aurons plus à nous étonner si, contrairement à ce qu'on peut observer en France, il nous paraîtra que la littérature actuelle a rompu tous les liens avec celle d'avant-guerre. Le mouvement, par exemple, de la revue «Lacerba», qui faisait un bruit énorme alors, n'est plus aujourd'hui qu'un souvenir très vague et qu'on repousse comme un mauvais rêve. Et le succès de «Lacerba» fut tel, qu'il n'y avait village de la péninsule, si minime fut-il qui ne voulut vanter sa troupe ou son organe lacerbistes.
On s'était donné pour but à «Lacerba», l'art pur; la libre éclosion et le perfectionnement d'un art d'après les lois individuelles, et par conséquent exclusivement original, était le principal souci des écrivains qui s'y rencontraient [...].
Trois écrivains y furent particulièrement remarqués: Giovanni Papini, Ardengo Soffici et Aldo Palazzeschi.
Les attitudes de Papini ont toujours angoissé ses lecteurs. J'ai eu déjà l'occasion de le constater, dans une note publiée dans «Littérature», les nombreux livres qu'il a publiés n'ont été pour lui qu'une série d'expériences. Le tourment de la pensée ne lui donne pas de répit [...]; c'est le plus italien, Papini, de nos écrivains. [...]
Soffici, qu'Apollinaire aimait comme un frère, a, jusqu'en 1914, connu l'art comme une expression et une manifestation du bonheur. A «Lacerba» c'était le vrai maître. Les œuvres qu'il écrivit jusqu'alors étaient comme de belles œuvres de la nature, cueillies à la vie, et disposées en une harmonie qui allait du choix des mots jusqu'aux caractères typographiques et à la mise en page, selon l'enseignement de Mallarmé, pour la satisfaction «intellectuelle» de tous les sens.
Soffici a aussi écrit la plus émue biographie de Rimbaud. Il a traduit les Chants de Maldoror et fait paraître des commentaires sur Ubu.
Palazzeschi, qui a écrit ce parfait Codice di Perelà que notre grand ami, l'auteur du Poète assassiné, estimait d'une façon particulière, était à «Lacerba» le précurseur de Dada et il y a publié, en ce sens, un manifeste célèbre.
Au déclenchement de la guerre, «Lacerba» devait mourir. Palazzeschi se tait depuis.
Le spectacle de la guerre a été pour Soffici une leçon de sympathie et de solidarité sociale. Il nous est revenu avec des idées qui feront le fonds de la revue personnelle «Rete Mediterranea» dont l'éditeur Vallecchi de Florence vient de nous annoncer la prochaine parution.
Quant à Papini, fidèle à ses inquiétudes, il parviendra, sinon à nous rapporter la foi, à laquelle il aspire, du moins à nous prouver que le calme visage humain n'est qu'une suprême grimace.

Depuis l'armistice on est traditionaliste en Italie. Deux revues sont le centre de cette agitation: «La Ronda» et «Valori Plastici» qui paraissent à Rome.
Il faut le reconnaître, à l'exception de Lorenzo Montano, ceux qui écrivent à «La Ronda» avaient ces convictions-là depuis longtemps.
«La Nouvelle Revue Française» ressemble beaucoup à «La Ronda» y compris les traductions de l'anglais. Les essais qui paraissent à la revue italienne n'étonnent pas ce qui connaissent Thibaudet et Rivière. Sur la peinture on y fait des discours qu'André Lothe adopterait.
Il y a là aussi un écrivain, Riccardo Bacchelli, dont la dialectique savante nous fait penser à René Johannet et à quelques rédacteurs de la «Revue Critique des Livres et des Idées» et de la revue «Les Lettres».
Il y a sans doute eu une influence réciproque entre les écrivains de la toute première série de «La Voce» de Prezzolini, où Bacchelli et Cecchi ont fait leur apprentissage, et certains courants français de sociologie littéraire.
Mais les vrais écrivains de la «Ronda» sont Vincenzo Cardarelli et Antonio Baldini.
Deux humoristes - et ils parlent de restauration! -. Le premier, académique, sur un ton goethien, nous étale ses visions caricaturales en poses baudelairiennes; on dirait le grand Ducasse! L'autre, bonhomme, populaire, est un conteur que La Fontaine apprécierait.
De l'humour, de la critique! De l'humour? Ce n'est pas une direction; c'est un corrosif! Ce n'est pas une solution, la critique, c'est un malaise, ou, du moins, un mécontentement.
Et alors? La joie de vivre est bien lointaine!
C'est encore toujours le même tragique qui faisait, il y a un siècle, pousser au grand Giacomo Leopardi le même cri qui s'échappe aujourd'hui du cœur de mes chers amis de «Littérature»:
Rien! rien! rien! rien! rien!

 

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Giugno 2003, n. 1