Federico Pellizzi
Hypertextualité et intertextualité.
Pour une critique du link

Journée d'études Littérature et réseaux informatiques, Paris, 21 novembre 1997.


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Abstract

A un point de vue "représentatif" de l'hypertexte, qui voyait l'hypertexte comme une configuration ou une présentation du "texte", vient de plus en plus se substituer un point de vue autoréférentiel de l'hypertextualité, qui voit le réseau comme un monde sémiotique, une sémiosphère dotée de codes qui lui sont propres et où chaque noeud renvoie à des éléments strictement internes. Cette optique semble prévaloir aussi bien dans une lecture "textuelle" du réseau (Nelson, Landow) que dans une interprétation post-textuelle (Ong, De Kerckhove) et dans leurs développements respectifs.

Ici, on tend à suivre une perspective différente, en ce sens que le réseau, et la série complexe de procédures et de techniques qui le constituent, serait une pragmasphère, c'est-à-dire un outillage cognitif, un ensemble de "technologies" faibles, au sens où l'entend Illich, plus qu'une technologie réifiable symboliquement, ce que l'impact d'Internet laisserait croire. En d'autres termes, le réseau est un champ de bataille de structures cognitives possibles et de pratiques d'expérimentation; c'est aussi un espace opératoire ou prennent corps des constructions stylistiques et des hypothèses de partage qui tendent à devenir des représent-actions; ces dernières possèdent la particularité de se préparer à leur propre déstructuration analytique, à savoir, au discret et au numérique, au moment même où elles se constituent comme structures architectoniques.

Le développement et la combinaison de différents types de référentialités, caractérisés par l'emploi d'une stratégie à la fois agglomérative et distributive sont une spécificité de l'hypertextualité (mais on devrait dire hypermédialité). Ce qui permet au réseau d'exister est sa continuité avec le monde réel. Toute représentation autoréférentielle du réseau, même la plus cosmologisante, se révèle partielle. Le réseau est pour ainsi dire la continuation du réel auquel s'ajoute une amplification remarquable des potentialités de représentation synthétique et de scansion analytique. Il est irréductible à une seule figure rhétorique et on ne peut le comprendre comme simple substitution d'un âge typographique ou de quelque autre que ce soit.

Au-delà des discussions sur l'oralité et l'écriture, sur la continuité et la rupture, il faut considérer qu'entre "logique de l'écriture" et "logique de l'audiovisuel" (Ferrarotti), il existe en réalité de nombreux autres espaces socio-communicatifs. Un de ceux-ci est la "logique inter-médiale", qui par sa vaste gamme de formes expressives et de modes de connexions, en fournissant des outils et des constructions déjà pré-formés et néanmoins dynamiques, conduit à la stratification de la pragmasphère. L'espace opératoire du réseau est hétérogène et pluristylistique, parsemé de communautés qui produisent des "ico-pragmèmes" reliés entre eux par des liens différents par la structure, le genre et la forme. La raison qui nous amène à reconsidérer de façon critique les points de vue qui s'attachent exclusivement à la discontinuité est justement cette stratification, la coexistence intégrée des logiques réflexives (retour) et des logiques d'attente (répétition), des écritures iconiques et des écritures narratives, de modèles encyclopédiques et de modèles issus de logiques d'ordinateur, de régimes distinctifs et de régimes confusionnels.

L'hypertexte, en se rapportant aux deux modèles opposés d'index et de thésaurus, est la plus claire exemplification de ce phénomène. Dans ce cadre, le savoir littéraire devra probablement mettre en jeu toute sa compétence rhétorique, stylistique et philologique pour se rétablir dans la dimension à la fois interstitielle et métalinguistique qu'il peut maintenant retrouver.

L'inter-médialité nous amène à redonner une définition du concept de contexte très éloignée de la théorie de la communication classique: à un contexte dénotatif vient s'ajouter un contexte connotatif. Les connexions sont des approximations physiques avant même d'être conceptuelles et elles tendent à regagner, comme il a été souvent dit, une dimension esthétique. L'hypertexte, non plus seulement intertextuel mais inter-médial, en réhabilitant le régime confusionnel de la déixis et de la juxtaposition, donne de la profondeur au contexte connotatif en en garantissant la variabilité, la multiplicité de perspectives et la densité différenciée.

[Traduction française de R. Couture]

 

Versione in italiano (1999)

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